Retour accueil ==> Menerville.free.fr

#1 28-12-2016 09:35:18

Djillali
Membre
Lieu: algerie
Date d'inscription: 01-12-2016
Messages: 66

L'energumène.

L'énergumène.

De la fontaine publique de la cité des « HLM du nord » à Thénia coulait été comme hiver une eau claire, pure, rafraîchissante.

La source est si connue et si appréciée aux alentours et au-delà qu'elle a  acquis la réputation au fil du temps, de livrer une eau dont les propriétés nombreuses disaient aussi qu'elle était un véritable traitement contre les calculs divers rénaux ou autres.
Son audience était telle qu'une chaîne de « clients » se formait tous les jours, dés le matin, très tôt, et de manière incessante.

Bidons et bouteilles de plastique, posés à même le sol, formaient une file que des propriétaires impatients surveillaient. Les bonjours furtifs, les salutations pressées étaient parfois égayées par la bruyante rencontre d’amis que la source réunissait de façon fortuite mais heureuse.

Il arrivait aussi que la fontaine fût quelques fois la source de frictions et de colères, certains ne respectant pas la « chaîne ».On assistait aussi ponctuellement à des spectacles ahurissants quand d’une camionnette descendait un énergumène ayant autant de bidons, de jerrycans et de bouteilles à remplir, à lui seul, que toute l’assistance réunie et parfois même plus, beaucoup plus.
Sa façon de squatter la fontaine était ahurissante et valait le déplacement.
Son tour arrivé, il « s’installait » devant le robinet comme il le ferait dans sa cuisine.

Et avec une technique rodée, étudiée, il commençait le « rituel de l’eau. »
Il choisissait un gros jerrycan ( vingt à trente litres), l’installait sous le robinet .
Il prenait ensuite un petit bidon de cinq litres, le rinçait abondamment, le mettait sous le jet d’eau, le remplissait à ras bord, remettait le tuyau dans le grand bidon et tout doucement, délicatement, il refermait le petit en vissant le bouchon à fond, puis de toutes ses forces et le mettait de coté.
Puis, il prenait un autre bidon de cinq litres le rinçait encore longuement l’installait sous le jet d’eau et ça continuait ainsi jusqu'à épuisement des bidons.
De tous les bidons.

Puis venait le tour des bouteilles en plastique pour lesquelles le même rituel s’appliquait.
Parfois, il prenait une bouteille déjà remplie, lui ôtait le bouchon sirotait quelques gorgée de cette eau magnifique, montrait à l’assistance par des onomatopées bruyantes et des claquements de langue sonores qu'il l’appréciait , vidait la bouteille dans le caniveau, la rinçait une deuxième fois et la remplissait à nouveau.

Il poussait l'outrecuidante gentillesse,affichant un visage souriant jusqu'à étaler ses chicots jaunis de tabac, à proposer gracieusement sa bouteille à l'assistance qui refusait en marmonnant de vagues mots.

De temps-en-temps, un concitoyen au bord de l’apoplexie, le visage en feu lui demandait de lui permettre de remplir le seul bidon qu'il tenait à la main. Mais notre ami refusait le priant, de l’air offusqué de celui qui défend son bon droit, de respecter la chaîne.
Alors l’assistance prenait partie. Des commentaires parfois courroucés fusaient :
-La prochaine fois tu ramèneras les verres et même tes cuillères. »
-L’eau de la source n’est pas faite pour prendre des douches. »
-On devrait limiter le nombre de bidons par individu ». Etc.…

Mais imperturbable, la mine affichée quelque peu candide de l’artiste qui a longtemps travaillé la scène, notre énergumène continuait sa besogne comme si de rien n’était et avant de charger les bidons sur son véhicule, il termina en se lavant les mains puis, il se débarbouilla longuement le visage.

Ensuite,il se rinça la bouche à grande eau, se gargarisa bruyamment ,se décongestionna le nez, narine après narine, se lava les oreilles,se lissa la barbe qu'il avait très fournie , se toiletta longuement les pieds jusqu'aux chevilles, marmonna quelques vagues mots à voix basse où il est question de bienfaits divins et de générosité céleste, prit une copieuse gorgée d’eau à même le tuyau , se gratta son crane luisant au soleil, un peu comme peiné de devoir quitter les lieux, hocha la tête, salua vigoureusement l’assistance et s’en alla du pas tranquille de celui qui avait sa conscience et son bon droit pour lui.

Hors ligne

 

Pied de page des forums

Propulsé par PunBB
© Copyright 2002–2005 Rickard Andersson
Traduction par punbb.fr